Interview alp ICT:


On vous recommande la vidéo de 1h15 qui est plus authentique… mais si vous êtes pressé, voici l'interview compactée.

Interview du 20 mai 2025 entre Delphine Seitiée (Alp ICT) et Raphaël Briner (Panoramai)

Introduction de l'interview

Delphine Seitiée ouvre cette nouvelle interview d'Alp ICT en présentant son invité :

"Bienvenue dans cette nouvelle interview Alp ICT, j'ai aujourd'hui le plaisir d'accueillir Raphaël Briner, initiateur de la seconde édition de Panorama, un rendez-vous devenu incontournable en Suisse romande pour explorer les opportunités offertes par l'intelligence artificielle générative."

Les origines : de l'hyperactivité à l'informatique

Delphine demande à Raphaël de raconter son parcours et ce qui l'a conduit à ses activités actuelles.

Raphaël évoque d'emblée ses traits de caractère :

"On vient à la vie avec certains traits et je pense un de mes traits c'était l'hyperactivité."

Il raconte l'événement fondateur de son rapport à l'informatique : son père, responsable informatique dans une entreprise industrielle à Neuchâtel, arrive un jour avec

"un énorme sourire et une boîte noire, une valise noire mais plutôt cubique... c'était un Macintosh 30 avec deux lecteurs de disquette."

Cette découverte marque profondément le jeune Raphaël :

"Je passais mon enfance entre l'ordinateur à faire du code et le piano, donc en fait j'ai un rapport un peu spécial avec l'informatique, c'est très lié à l'enfance."

Interrogé sur ses compétences en programmation, il se montre humble :

"Je copiais, j'étais pas vraiment... j'étais pas très bon en informatique, je reste un très mauvais informaticien."

L'exploration du monde : Neuchâtel, la photographie et les voyages

Delphine l'interroge sur son évolution. Raphaël évoque avec nostalgie son enfance à Neuchâtel :

"Neuchâtel c'était un paradis, donc il y avait le lac, c'est un paradis. Même si je suis sur Genève de temps en temps, je regrette, je regarde, quand je repasse à Neuchâtel j'ai une émotion assez forte."

Il découvre la photographie au gymnasium :

"À Neuchâtel il y avait un labo photo dans le gymnase et donc j'ai eu accès à ce labo photo une année, je crois que j'ai dû tirer 2000 photos noir et blanc."

Raphaël se définit comme un explorateur :

"J'étais un explorateur du monde, donc j'avais la chance de pouvoir voyager à 16 ans pour apprendre les langues tellement j'étais mauvais, il fallait que je rattrape ça, c'était un trouble de l'attention non diagnostiqué, toujours pas diagnostiqué d'ailleurs."

Il évoque ses voyages formateurs en Allemagne, puis en Espagne, avant de préciser :

"J'ai eu la chance de quitter Neuchâtel en allant à Barcelone faire des études de graphisme, après avoir essayé de faire de l'informatique de gestion tant bien que mal, mais j'avoue que les cours de gestion financière de 4e année d'économie, c'était pas mon truc, c'était un peu trop théorique."

Premier entrepreneuriat : le magazine et le web pionnier

Delphine souligne qu'il a trouvé sa voie dans le graphisme. Raphaël révèle alors un aspect surprenant :

"Le comble de ça c'est qu'au moment où je suis parti à Barcelone, j'étais déjà éditeur d'un magazine, donc j'étais déjà entrepreneur à 19 ans."

Face à l'impossibilité de continuer le magazine depuis Barcelone, il prend une décision innovante :

"J'avais du contenu qui provenait de journalistes que j'avais mandatés et du coup je l'ai mis en ligne, donc j'ai créé un des premiers sites internet de Suisse avec du contenu hip-hop, de musique, de skate sur internet."

L'évolution vers les plateformes communautaires

De retour du graphisme barcelonais, Raphaël explique son retour vers le web :

"Très vite je suis revenu sur le format web parce que dans le web il y avait cette dynamique sociale qui ensuite a profondément marqué mon activité en tant qu'agence à faire des plateformes communautaires."

Il anticipe l'évolution sociale du web :

"Je regrettais qu'une chose, c'est que le web soit pas devenu plus vite interactif, c'est-à-dire social, et donc j'ai défendu ça pendant longtemps au sein de l'agence."

Témoin de l'émergence des réseaux sociaux

Raphaël se positionne comme un observateur privilégié de l'émergence des plateformes sociales. Sur LinkedIn :

"J'ai vu l'émergence de LinkedIn, on était des premiers à être actifs sur LinkedIn. À l'époque c'était pas du tout un média, c'était vraiment purement des CVs."

Il mesure l'évolution :

"Aujourd'hui je pense que je lis 3h à 4h par jour sur LinkedIn des informations qui évidemment me viennent à travers l'algorithme."

Sur Facebook, il se définit comme un évangéliste précoce :

"Il y avait Facebook qui arrivait, j'en ai fait l'évangélisation, j'étais un des premiers prescripteurs."

Première inquiétude sur les dérives technologiques

Mais Raphaël prend rapidement conscience des dérives possibles :

"Quand j'ai vu la plateforme évoluer évidemment j'ai pris peur et je me suis rétracté sur certains développements, notamment la domination totale du monde."

Cette expérience forge sa vision critique actuelle :

"J'ai vu comment une bonne technologie peut ensuite dériver et partir avec des externalités, partir en live en fait, et aujourd'hui avec l'IA j'ai peur qu'on reproduise."

Les enjeux actuels : IA et dépendance numérique

Raphaël établit un parallèle inquiétant :

"On s'est fait avoir avec les réseaux sociaux, est-ce qu'on va se faire avoir avec l'IA ? On s'est fait avoir avec le téléphone portable avec ses systèmes de dépendance très forts."

Il témoigne personnellement :

"Aujourd'hui moi j'ai mon fils qui est addict, ça a un impact profond sur son existence, sur la nôtre en tant que parent."

Il évoque l'exemple japonais de régulation :

"À un moment donné il faudra adresser le problème au niveau du parlement et légiférer comme le Japon l'a fait sur la notion de dépendance aux écrans... en gros tu peux pas rester plus qu'une heure devant un écran."

L'isolement social, un enjeu majeur

Raphaël identifie un phénomène sociétal profond :

"C'est le problème aussi de l'IA, c'est l'isolement social, c'est qu'ils ne sont plus capables de se côtoyer dans la vraie vie."

Il date précisément l'origine du phénomène :

"Ça a commencé en 2006 où les spécialistes de chez Swisscom se sont rendu compte que l'arrivée des systèmes de communication de type WhatsApp faisait que les gens augmentaient les interactions avec moins de personnes. Donc au lieu d'interagir avec 50 ou 100 personnes dans la semaine, ils se concentraient beaucoup plus sur 5 ou 8."

L'agence et les crises technologiques

Delphine demande à Raphaël de poursuivre sur son parcours après Barcelone. Il évoque la création de son agence :

"Assez rapidement après 2 ans en agence, je monte la mienne à 25 ans."

Il décrit cette période entrepreneuriale avec enthousiasme :

"C'était chaque 3 mois ou 6 mois, il fallait innover, il fallait absorber beaucoup d'informations de nouvelles technologies... On s'est extrêmement éclatés, j'ai des anciens collègues qui m'ont dit que c'était leurs plus belles années professionnelles de leur existence."

Raphaël identifie deux crises marquantes :

"Il y a une première cassure avec la crise de 2000-2001 où il a fallu mettre un peu plus d'expérience utilisateur au centre... Il y a eu cette deuxième crise de 2008 qui malheureusement a coïncidé avec l'arrivée du mobile."

Il témoigne du scepticisme suisse face aux nouvelles technologies :

"En Suisse c'était compliqué de faire cette transformation, les gens étaient extrêmement sceptiques sur l'écran mobile, sur sa taille, ils pensaient pas qu'un jour on allait tout acheter simplement sur les téléphones portables."

Vision cyclique des transformations technologiques

Cette expérience forge sa vision actuelle :

"J'ai déjà vécu ces croyances, ces pensées limitantes, ces problèmes de perception sur le futur et du coup on y est, on est de nouveau... On est comme en 2008, on est en 2025 mais c'est pareil, on est dans la même situation, on est à un moment de bascule où finalement ce qui est convenu, ce qui est une forme de convention, on va tout réécrire avec l'arrivée de l'IA."

Les trois étapes de l'IA selon Raphaël Briner

Raphaël développe sa vision structurée de l'évolution de l'IA :

"Étape 1 c'est l'adoption des LLM, étape 2 c'est l'adoption de ce qui est agentique, étape 3 on va vers une IA physique avec une représentation du monde avec une simulation, c'est le concept du digital twin mais qui est appliqué à un niveau plus avancé qu'une réplication spatiale 3D."

Il précise l'évolution des digital twins :

"À l'époque on modélisait un avion, on le copiait en 3D et puis on a fait un digital twin. Non, maintenant on va plus loin... Il y a Nvidia qui est sorti aujourd'hui, le Groot qui est vraiment open source, et donc on a à peu près tout ce qui est nécessaire pour permettre par exemple l'émergence d'un robot suisse."

Culture d'adoption : le défi suisse face aux Anglo-Saxons

Raphaël analyse les différences culturelles d'adoption technologique :

"La culture anglo-saxonne par exemple, ils ont une posture d'adoption qui est quand même radicalement différente. Aux États-Unis, ils changent de service comme de chemise, donc de services informatiques, de plateformes de collaboration, ils testent tout, ils adoptent tout, ils sortent des énormes budgets."

Il pointe un enjeu spécifiquement suisse :

"On est dans un pays suisse où il y a des barons qui sont dans des boards et qui malheureusement vont plutôt voir l'arrivée de l'IA comme simplement une opportunité de gestion de performance... alors qu'en fait cette arrivée de l'IA elle doit être vue de façon holistique et systémique."

La philosophie de l'augmentation

Raphaël défend une vision humaniste de l'IA :

"Moi j'essaie de défendre avec cette conférence la notion d'augmentation... C'est pas l'idée de vivre plus longtemps... Cette augmentation c'est plus une augmentation intellectuelle, créative, d'innovation."

Il voit dans l'IA une opportunité pour la Suisse :

"On a un ADN en Suisse d'excellence et ce serait criminel de perdre... La Suisse a tout à fait une énorme opportunité en termes de souveraineté d'innovation."

Genèse de Panoramai : de l'échec à la vision

Delphine interroge sur la genèse de Panoramai. Raphaël raconte l'événement déclencheur :

"Le début, c'est l'arrivée de GPT 3.5. J'ai tout de suite essayé de faire un projet un peu radical... Est-ce que je pourrais améliorer la facilitation dans les réunions ?"

Il décrit son expérimentation avec la facilitation IA :

"On a fait un prototype pendant quelques mois où j'ai essayé de voir si on pouvait avoir des insights sur la tenue de la réunion, un peu comme le ferait un facilitateur qui est neutre."

Mais l'expérience tourne à l'échec :

"Je me suis pris le mur, j'étais à moins de 50% de taux de satisfaction... C'est pas le bon use case, c'est pas le bon moment et puis de toute façon ce sera Microsoft et Zoom qui le feront."

Vision d'écosystème local

Cet échec le conduit à une réflexion plus large :

"Je vais me concentrer à offrir une vision horizontale transverse... Je vais essayer de valoriser en fait tous les acteurs locaux."

Il identifie un problème structurel :

"Il y a un réflexe actuel souvent sur les grands groupes, c'est d'aller voir à l'international plutôt que de puiser dans les ressources locales."

Le concept Panoramai : une place forte de réflexion

Raphaël définit l'ambition de sa conférence :

"Le but c'est de créer une place forte où les gens échangent de façon authentique sur cette accélération... Il y a une telle accélération que s'il y a pas un moment donné où on se pose, on s'assoit et on articule..."

Il précise l'approche :

"Le but c'est pas d'être ultra expert parce qu'en fait il y a plus d'experts partout dans la pièce, donc là j'ai réussi à fédérer 70 personnes qui vont à la fois critiquer, à la fois donner des bonnes pratiques."

Leadership et IA : le décalage perception-réalité

Raphaël évoque une étude révélatrice :

"Au niveau académique, ils se sont rendus compte qu'il y avait un décalage entre ce que les leaders perçoivent de la façon dont ils sont AI ready et ce que les employés perçoivent."

Il illustre par un exemple concret :

"Dans certaines entreprises ils disent qu'ils sont avancé alors qu'en fait les employés se disent 'non mais attendez, on a un copilot -bridé- où on n'arrive pas à savoir quelle version de ChatGPT'."

La redistribution du pouvoir par l'accès à la connaissance

Sur la transformation du leadership, Delphine pose d'abord la question fondamentale :

"À quoi ressemble en fait un leader ou le monde du leadership à l'ère de l'IA ? Est-ce qu'ils sont capables de sortir un ChatGPT dans un board ?"

Il observe un phénomène de redistribution :

"Quand tout le monde commence à avoir un peu plus accès à la connaissance aussi, ça redistribue un petit peu les cartes de la hiérarchie plutôt traditionnelle qu'on connaît aujourd'hui."

Les modèles de raisonnement profond

Delphine évoque son expérience avec les nouveaux outils :

"Certains acteurs utilisent de plus en plus les modèles de raisonnement profond... J'ai testé O3 il y a 2 semaines sur OpenAI... Quand on comprend bien quel est l'objectif de ce modèle et à quoi il va t'aider, c'est assez bluffant."

Raphaël nuance toutefois l'utilité selon les contextes :

"C'est bien d'être capable de pondre 30 ou 40 pages, ça sert à rien si c'est pas absorbé par la personne qui le reçoit... on aura je pense pas besoin de modèles aussi gourmands."

Le leader augmenté vs la stratégie déléguée

Raphaël développe sa vision du leadership augmenté :

"Aujourd'hui je ne pense pas qu'on est encore dans une phase où 100% la stratégie peut être définie par une IA, Dieu merci... Il faut en fait un leader augmenté ou un employé augmenté, c'est avant tout ce qui dit qui compte, qui va ensuite être reformulé."

Il explique la valeur ajoutée humaine :

"Souvent les gens manquent un peu de structuration, ont leur propre biais, et en fait pour moi le résultat d'une conversation, c'est simplement qu'il y a eu un moment d'introspection et ça a été reformulé correctement et ça a ouvert un champ du possible."

La mort du design thinking ?

Raphaël exprime une inquiétude majeure sur l'évolution des méthodes collaboratives :

"Ce que j'aimerais voir à l'avenir... ce sont des moments où on se rencontre avec l'IA, parce que si l'étape d'innovation et de réflexion stratégique ne se fait qu'en one-on-one avec l'IA et plus à deux ou à trois... ça veut dire que l'approche design thinking, le côté [collaboratif] et cetera, c'est mort."

Les dangers de la délégation excessive

Il met en garde contre une dérive majeure :

"On va assister à une situation où des roadmaps seront beaucoup trop définies par l'IA, donc elles vont en fait... la proposition de valeur sera générique, va manquer de substance, sera pas originale."

Raphaël prône un équilibre et une montée en compétences :

"C'est très dangereux d'avoir des mauvais stratèges qui délèguent trop à l'IA et qui sont quelque part en dépendance -cognitive-... Les experts ont d'autant plus d'importance, et je suis pour finalement former les opérationnels à faire plus de stratégie."

La vision circulaire de l'entreprise

Il explique cette redistribution des rôles :

"Comme ils vont gagner du temps sur le planning, comme ils vont gagner du temps sur plein de choses diverses et variées qui étaient typiquement le contrôle, la surveillance et cetera... autant qu'ils basculent plus sur : où sont les propositions de valeur, où est-ce qu'on peut améliorer, est-ce qu'on a vraiment un customer feedback qui nous permet de développer de nouveaux services."

Sa vision du leader idéal :

"C'est là où pour moi le leader fait son travail, c'est s'il arrive à avoir cette vision un peu complète, circulaire de l'entreprise."

Le middle management augmenté

Sur l'évolution du middle management, Raphaël anticipe :

"Le middle manager augmenté, il va devoir apprendre à travailler avec des agents... Ça va être obscur, il va râler, il va y avoir des hallucinations."

Mais il y voit des opportunités :

"La bonne nouvelle c'est que ça va s'auto-remplir, donc il y a beaucoup d'informations typiquement qui proviennent des meetings qui sont transcrits et qui donnent plein d'insights."

L'ère des agents : le protocole MCP

Raphaël explique une évolution technique majeure :

"Cette transformation va être accélérée parce que l'ensemble des grands acteurs IT grâce au nouveau protocole MCP vont pouvoir très vite déployer, augmenter leur technologie."

Il précise :

"MCP c'est le protocole pour justement que les agents interagissent entre eux... C'est Anthropic qui l'a open sourcé, OpenAI l'a pris, Google a suivi et maintenant il y a Microsoft qui l'a suivi cette semaine."

Les réseaux sociaux décentralisés : vers une nouvelle portabilité sociale

Raphaël évoque l'évolution possible des réseaux sociaux grâce à l'IA :

"Peut-être qu'après ça pourrait permettre l'émergence de réseaux sociaux qui auraient un frontal d'IA qui permettrait par exemple le transfert d'un graphe social... mes amis sont sur ce réseau, je vais aller voir sur l'autre réseau si j'ai pas les mêmes amis."

Il imagine l'IA comme facilitatrice de cette portabilité :

"C'est l'IA qui s'amuse à faire du matchmaking avec les handles, les photos... 'Ah oui, c'est bien Jean-Paul', on va reconnecter le graphe et puis faire en sorte qu'il y ait une portabilité de ses amis."

Cette vision répond selon lui à un besoin réel :

"Il y a pas mal de gens qui aimeraient quitter certains réseaux et qui sont embêtés parce qu'ils sont pris en otage, ils ont pas envie de reconstruire leur graphe social complètement."

Les agents intelligents : une révolution en cours avec des limites

Delphine interroge Raphaël sur les agents intelligents. Il tempère les attentes :

"Les agents, je crois pas... c'est stupide, c'est-à-dire qu'on les configure aujourd'hui pour déjà valider certains cas d'usage, donc c'est... on est dans la plomberie de base."

Il souligne les limites actuelles :

"On a encore trop d'hallucinations... dans le secteur industriel ou de la production mécanique physique, on n'a pas le droit à l'erreur, on ne peut pas se permettre d'avoir 30% [d'erreur] dans la génération de code, dans la génération de visuels, dans la génération de prise de décision."

Raphaël distingue les secteurs selon leur tolérance à l'erreur :

"On a une marge d'erreur qui nous permet de dire 'OK, bon, le code était pas parfait, c'est pas grave... on a quand même pu déployer, on a quand même du retour client'. La même chose avec un service, peut-être pas dans l'assurance, mais dans beaucoup de services où c'est pas grave s'il y a de temps en temps un couac."

L'évolution des modèles : vers la miniaturisation et l'autonomie

Raphaël explique l'évolution technique des modèles d'IA, en prenant l'exemple des développements récents :

"Contrairement aux LLM qui ont absorbé 900 milliards... 2000 milliards de tokens pour composer un méga modèle comme celui de Meta ou le O3... le dernier modèle de Microsoft qui s'appelle Phi-4, il a été extrait en fait de données synthétiques des grands modèles et puis ils refont un modèle de 18 milliards de paramètres."

L'avantage de cette miniaturisation est concret :

"Il a l'avantage de pouvoir tourner sur ton ordinateur avec 16 Go de RAM, ce qui veut dire que du coup tu es pas seulement dans des déploiements ou d'utilisation possibles à distance avec le cloud, mais tu vas pouvoir par exemple travailler offline ou travailler dans des espaces ultra sécurisés."

La créativité augmentée : tensions et opportunités

Les enjeux de propriété intellectuelle

Delphine demande pourquoi Raphaël a dédié la première journée aux artistes. Il évoque d'abord les tensions actuelles :

"Elles deviennent tellement excellentes pour reproduire... on l'a vu avec Ghibli, ils se sont lâchés alors que l'artiste avait dit qu'il ne voulait pas, qu'il ne consentait pas et que pour lui c'était une abomination."

Il décrit une escalade inquiétante :

"Maintenant on a tout un écosystème de gens qui utilisent des images Ghibli pour montrer qu'ils ont le droit à la libre expression... alors qu'il y a déjà eu il y a 4 ou 5 ans une première phase de développement de ces modèles en appropriation de cette information."

Raphaël anticipe une fracture géopolitique sur ces questions :

"On va se trouver dans un monde très clivé où les États-Unis font absolument ce qu'ils veulent au niveau des images d'artistes... qui reproduisent le travail d'autres artistes, et l'Europe qui a des considérations beaucoup plus fermes sur les droits d'auteur."

L'exploration créative personnelle

Raphaël partage son expérience personnelle de création avec l'IA :

"Moi personnellement par exemple, j'ai pu explorer des mondes, créer des mondes... le dernier en date que je vais présenter à Panoramai, c'est je m'amuse à reproduire des sanatoriums qui sont des espaces où on prend le soleil."

Il explique sa démarche de design fiction :

"C'est de voir si on peut réenchanter l'espace public en offrant des infrastructures de détente où typiquement une maman avec ses enfants pourrait se poser... il peut très bien y avoir des espaces d'accueil qui sont pratiquement aussi confortables et intimes qu'un jardin, mais sauf qu'on a pas tous accès à un jardin."

La démocratisation de la créativité

Raphaël voit dans l'IA une opportunité de démocratisation :

"L'IA elle permet de visualiser des choses du possible, donc d'un point de vue design fiction, de créer un futur possible pas forcément utopique mais justement réaliste... ça permet, sans faire appel à un architecte, sans faire appel à un studio 3D, que je peux moi-même expérimenter la joie d'être l'espace d'une demi-journée en architecte."

Il identifie un potentiel inexploité :

"Il y a plein de gens qui ont un potentiel créatif, 40% des gens l'ont mis de côté en fait... ils auraient pu exploiter ça dans leur quotidien et là, tout à coup, ça veut dire que ces gens-là potentiellement pourraient être amenés à collaborer avec l'IA."

Le rôle persistant du bon goût

Raphaël met en garde contre les dérives esthétiques :

"Le problème du bon goût, c'est que c'est quelque chose qu'on a pas forcément, ça s'entraîne, donc c'est pour ça que je pense qu'on aura toujours besoin des directeurs artistiques."

Il plaide pour une approche éthique et esthétique :

"Je pense qu'on aura toujours besoin d'une éloge du beau et de l'éloge du sens et de l'éloge de l'éthique pour que soient faites des choses, y compris en entreprise et pas seulement dans l'espace public, qui soient pas juste des monstruosités."

Delphine l'interroge sur cette question du bon goût. Raphaël répond avec pragmatisme :

"Des représentations du futur, elles peuvent être drôles, mais là ce qu'on voit, c'est juste des abominations... Le bon goût, c'est le bon sens en fait."

L'IA physique : vers une révolution robotique

La troisième vague selon Nvidia

Raphaël explique le concept de "Real World AI" :

"C'est l'IA physique et la dernière vague que Nvidia estime la plus grosse... Elon Musk aussi, pour lui les voitures on s'en fout, il faut faire son Optimus robot partout."

Il décrit la stratégie de Musk :

"Il a construit son data center avec ses 200 000 GPU, donc il est super content et puis surtout, c'est sa prochaine valorisation, il se dit 'moi, un jour, je pèserai autant que Nvidia'."

Les capacités émergentes

Raphaël détaille les avancées techniques :

"On sait qu'ils sont pratiquement bons au niveau de la domestication du monde physique réel, de pouvoir mettre des robots qui sont capables d'être autonomes dans l'espace... au niveau des systèmes de planification, c'est-à-dire que si je fais ça, il y a de fortes chances que se passe ça."

Il explique les systèmes d'anticipation :

"On va avoir des systèmes d'experts qui sont capables de simuler les différentes situations, différents scénarios, donc le robot serait capable d'anticiper."

Les défis infrastructurels de l'IA

La consommation énergétique massive

Raphaël aborde les enjeux d'infrastructure :

"On a cette vision que [l'IA est] extrêmement gourmande pour créer les modèles... Trump a annoncé coup sur coup qu'ils allaient avoir 500 milliards d'investissements, il y a les data centers qui vont se mettre en place en Arabie Saoudite et Émirats."

Il s'interroge sur la logique géographique :

"On dit 'Mais c'est complètement obscène, c'est impensable, pourquoi mettre des serveurs dans des zones où il fait déjà 50-60 degrés ?'"

Les solutions distributives

Raphaël explore des alternatives :

"Est-ce qu'il existe des systèmes distribués pour qu'on puisse faire de l'inférence dans différents data centers existants ? Par exemple, il y en a, il y a pas que les data centers de Microsoft, il y en a plein, il y a les petits acteurs."

L'opportunité suisse

Il identifie un potentiel spécifiquement helvétique :

"La Suisse, elle a une carte à jouer phénoménale, on a des barrages qui sont sous-utilisés, on peut faire travailler les data centers la nuit, faire remonter l'eau... on est plus du tout dans la valeur perçue de l'électricité, elle change du tout au tout quand elle est utilisée pour faire de l'intelligence."

Raphaël relativise également les enjeux environnementaux pour certaines régions :

"Quelqu'un dirait c'est obscène, ben en terme de gigawatt de réchauffement sur l'océan, c'est rien par rapport au soleil, donc on est dans le complexe."

Les nouveaux équilibres géopolitiques

Il anticipe une reconfiguration géostratégique :

"Elle va changer le monde d'un point de vue géostratégique... il y a un nouveau pôle qui est en train de naître... on était dans un duopole, maintenant on va être dans un rapport tripartite avec quelque chose qui est pas du tout l'Europe... qui est justement les trois pays : le Qatar, Abu Dhabi et Riad."

Panoramai : au-delà de la conférence, un écosystème

Une approche holistique sur trois jours

Delphine demande si Panoramai pourrait être "un mini Davos". Raphaël nuance :

"Je pense pas, mais je sais qu'il y a des investisseurs qui seront là. Ces investisseurs sont sur ces préoccupations de souveraineté suisse et européenne, veulent amener de la résilience à la fois dans les organisations et à la fois au niveau de la société."

L'innovation de la "AI Walk"

Raphaël révèle un aspect original de l'événement :

"Le concept initial, c'est d'aller dans le Lavaux et de faire ce que j'appelle une AI walk et AI boat... c'est en gros d'amener ces gens qui sont un peu comme moi des nerds... les faire marcher ensemble et ça permet d'avoir un moment de réseautage dans un cadre absolument unique."

Il explique la logique :

"L'après-midi, ils sont tout concentrés sur les contenus, ils ont déjà eu leur dose de réseautage et puis c'est bon, ils peuvent passer à autre chose, ils peuvent aller dans la matière."

La création de liens durables

Raphaël témoigne de l'impact transformateur des rencontres :

"Ce que les gens des fois comprennent pas avec les conférences, c'est qu'on y crée des relations qui sont pour la vie... on fait des contacts qui nous transforment, on reçoit de la matière qui nous transforme, qui nous fait changer notre business."

Un événement communautaire

Il insiste sur l'aspect collaboratif :

"J'ai réussi à faire que cet événement soit pas juste mon événement, mais soit un événement des acteurs de la région et donc de mélanger différents milieux, que ce soit dans la fintech, que ce soit dans la recherche."

Les enjeux technologiques et économiques

Open source et souveraineté

Delphine souligne l'importance de l'open source. Raphaël évoque les infrastructures techniques :

"Il y a deux gros langages pour piloter ces [modèles], c'est TensorFlow et PyTorch. PyTorch a été créé par Facebook, enfin Meta."

Le financement de l'innovation IA

L'interview se termine sur les questions de financement, témoignant de la nécessité d'aborder tous les aspects - techniques, créatifs, économiques et sociétaux - de cette révolution technologique qui s'annonce.

Open source et efficacité énergétique

Raphaël poursuit sur l'évolution de l'écosystème technique :

"PyTorch a été créé par Facebook, enfin Meta, et du coup ça a permis... le fait que c'était open source, ça a permis l'émergence de DeepSeek et puis DeepSeek a permis l'émergence de nouvelles approches et de nouveaux designs qui sont réducteurs en consommation énergétique."

Il apporte une nuance importante sur la consommation d'énergie :

"Une des bonnes nouvelles que moi je vois... par exemple Google, ils sont sur des modèles qui sont cinq fois moins énergivores... ça tourne sur les TPU et ces TPU consomment cinq fois moins, donc si vous avez une inquiétude par rapport à ça, ben utilisez plutôt Google que plutôt qu'OpenAI."

Le défi organisationnel : qui pilote l'IA en entreprise ?

Le problème du product owner

Raphaël identifie un enjeu structurel majeur :

"L'IA, malheureusement elle ne peut pas s'aborder... elle est en recherche aujourd'hui de ce qu'on appelle des product owners, elle est en recherche aujourd'hui d'avoir des gens qui décident 'OK, c'est mon périmètre'."

Il illustre la disparité des approches :

"Sur des structures étatiques, le chef de projet va venir du côté RH, après dans d'autres structures ça va venir du côté IT... toute organisation se dit 'OK, bon ben moi je connais pas l'IA donc je vais prendre le data scientist puis je vais le nommer Chief AI Officer', est-ce que ça fonctionne ? Peut-être mais..."

Les angoisses du remplacement

Raphaël évoque les craintes légitimes des collaborateurs :

"Toute la dimension humaine et les inquiétudes et les angoisses des collaborateurs qui pensent qu'on va tout automatiser, c'est qu'ils vont prouver qu'on va pouvoir les virer... tu as toute cette question du remplacement qui en plus avec les signaux qui sont pas si faibles des États-Unis qui montrent qu'il y a beaucoup de développeurs qui sont en train de se faire virer."

Delphine confirme : "La chute des embauches aussi en Californie."

Dépasser la vision réductrice

Raphaël plaide pour une approche plus ambitieuse :

"Je crois qu'il faut défendre simplement l'intelligence et ne pas trop nourrir l'idée que l'IA ne sert qu'à faire de la réduction de coût... parce que sinon si on fait ça, on fonce droit sur 'on va juste faire moins avec moins d'employés, peut-être de moins bons services'."

Il met en garde contre la complaisance :

"Le problème, c'est qu'en face vous avez des gens qui vont plus vite, qui utilisent des IA pour innover ou pour vous attaquer, donc n'importe quelle structure doit se dire 'je dois m'adapter à mon environnement'."

La mutation personnelle de Raphaël

L'expérience révélatrice

Delphine interroge Raphaël sur le terme de "mutation". Sa réponse est très personnelle :

"J'ai muté à partir du moment où j'ai produit 250 pages de documentation pour mon client en une demi-journée, et c'est là que j'ai compris qu'en fait... j'ai la chance d'aider un client sur le design et du coup j'ai accès au repo sur GitHub."

Il décrit sa découverte :

"J'ai produit toute la doc, mais je pensais pas... à la base je voulais faire la doc frontend puis un peu de doc backend pour avoir le data model, et finalement j'ai fait tout : j'ai fait la doc sur Elasticsearch, la doc sur les développeurs, la doc sur les contributions... j'étais là 'wahou'."

La documentation comme nouveau point de vérité

Raphaël développe une vision transformatrice :

"Ça change la façon dont dans le code il y a un nouveau point de vérité, et c'est pas forcément le code lui-même, c'est aussi la documentation... tu peux y inclure la roadmap, tu peux discuter avec l'ensemble du code pour y mettre en fait des problématiques client."

Il voit une opportunité stratégique :

"Tu peux construire ta stratégie directement en t'appuyant depuis ton code... il faudrait donner accès à toute l'entreprise à des briques stratégiques."

Le conseil pratique : commencer par la documentation

Raphaël propose une approche concrète :

"Vous doutez de ce que vous pouvez faire avec l'IA ? C'est simple, vous commencez par la documentation. Tout le legacy que vous avez : des instances Oracle, des machins, des Salesforce qui ont été forgués pour vous, du SAP et cetera, ben documentez-le."

Il relativise les craintes techniques :

"Vous déployez un Qwen ou whatever, l'LLM interne, il sera peut-être pas aussi performant que Claude Sonnet, mais au moins il sera capable de quand même documenter la chose."

L'IA dans le code : un domaine naturel

Pourquoi l'IA excelle en programmation

Raphaël explique cette efficacité particulière :

"Dans la créativité ou dans la stratégie, je trouve que l'IA générative elle est pas très originale, mais dans le code en fait c'est bien... parce qu'en fait il y a... c'est un langage... il y a déjà une structure de pensée."

Il développe :

"Qualifier un client, qualifier un produit et cetera, il y a déjà des ontologies qui existent... et du coup l'IA peut amener à coder de façon très impertinente."

L'usage caché en entreprise

Raphaël révèle un phénomène significatif :

"Il y a tout un dark usage où les gens... ils performent plus parce qu'ils utilisent ChatGPT à la maison pour gagner du temps... mais sans dire à leur boss qu'en fait ça a été fait."

Il compare avec l'adoption de WhatsApp :

"C'est exactement ce qui s'est passé avec WhatsApp à l'époque... ça a été utilisé par les employés puis après ils se sont dit 'Ah tiens, on va peut-être faire Teams'."

La domination de Microsoft et les enjeux de dépendance

L'écosystème unifié de Microsoft

Raphaël analyse la position stratégique de Microsoft :

"Microsoft, c'est ça reste Excel et PowerPoint et c'est le point de départ de ce que les collaborateurs font qui s'appuient sur SharePoint... ils ont toujours su très bien unifier."

Il met en garde les startups :

"Toutes ces startups qui sortent qui disent 'Ouais c'est bon, je vais faire de nouveaux systèmes'... s'ils le font sans conscientiser de quelle manière en Europe Microsoft est une couche stratégique et de facto l'écosystème corporate sur les grands comptes... ça veut dire qu'ils ont pas compris."

L'évolution des outils

Delphine évoque l'émergence d'alternatives comme Canva face à PowerPoint. Raphaël nuance :

"Word va encore rester longtemps parce que c'est un standard transactionnel, tu envoies un document Word... il y a l'email qui est encore là, ça fait 15 ans que j'essaie... que je participe à des conférences où on dit 'l'email va mourir', l'email va rester."

Recommandations et conclusion

LinkedIn comme source d'information

Delphine demande ses recommandations de lecture. Raphaël privilégie LinkedIn :

"J'utilise LinkedIn comme des capteurs, donc je vais lire des auteurs qui peuvent être très critiques sur ce qui se passe aux États-Unis ou très critiques sur ces croyances de superpuissance qu'on pourrait avoir avec l'IA."

Il dénonce certaines promesses :

"Les promesses erronées de Musk et d'Altman... plus que maladroites, corrompues, parce qu'en fait ça change du coup la valorisation de leur entreprise, donc en fait c'est un mensonge financier."

Son conseil pratique :

"Quand vous likez, en fait vos likes vont influencer votre algorithme, donc c'est logique que si vous faites attention à qui vous likez et que vous interagissez, ça va être positif."

AI for Good : la recommandation finale

Raphaël termine par une recommandation importante :

"Il y a une extraordinaire conférence qui est gratuite qui s'appelle AI for Good en juillet... on a la chance d'avoir les Nations Unies avec l'ITU qui ont monté ce programme... il y a des super beaux projets qui touchent à la nature, comment est-ce qu'on peut utiliser l'IA pour écouter les animaux ou traduire ce qu'ils disent."

Il justifie cette complémentarité :

"Ma conférence, elle peut pas adresser tous les sujets éthiques... au lieu de faire une demi-journée un peu pas complète, de toute façon il y a pas de complétude, mais là ils ont des budgets, ils font venir des gens du monde entier."

Raphaël Briner